

A
rchitecte de renom, Anthony Bechu signe aussi bien des
réhabilitations classiques que d’audacieuses créations
modernistes, un peu partout à travers le monde. Passionné
par l’histoire des bâtiments comme par les défis sociaux
et environnementaux, il nous parle d’un style d’autrefois qui
pourrait bien répondre aux problématiques d’aujourd’hui : les
célèbres immeubles du baron Haussmann.
Vous avez rénové et même construit plusieurs bâtiments
de style haussmanien, quel regard portez-vous sur ce style
architectural ?
Sur le plan purement architectural, la réussite d’Haussmann,
c’est d’avoir imposé la pierre. D’ailleurs, cela a provoqué de vrais
changements sociaux. Des tailleurs de pierre sont venus à Paris
pour devenir promoteurs, on a créé le Crédit Foncier... Le style
purement haussmanien c’est l’immeuble en pierre, avec corniches et
boiseries à l’intérieur, sculptures sur les façades, qui déclinent tous les
ordres de l’architecture classique. On a des balcons aussi, et certaines
se sont même ornées de bow window en métal sous l’influence
anglaise. Certains immeubles ressemblent à des châteaux de
Bavière. On part du classique, on arrive à l’Art Nouveau où la sculpture
vient carrément dévorer la façade, puis à l’Art Déco en rupture,
en réaction à ce maniérisme un peu baroque. Et dans l’haussmanien le
plus tardif, on peut même voir des façades en brique, comme celles
des HLM de la petite ceinture autour de Paris... C’est donc un
style très varié, qui recouvre des réalisations très différentes, et
qui impose une vraie complicité entre maîtres d’ouvrage, architectes,
sculpteurs et artistes. D’autant que certaines façades sont très
dessinées, avec des caryatides, des têtes de méduses...
Quels sont les atouts de ce style d’architecture dans la ville
actuelle ?
Le génie d’Haussman, c’est d’avoir imaginé un immeuble réunissant
toute la pyramide sociale – il avait créé la mixité, ce qu’on a bien du
mal à faire aujourd’hui ! Au rez-de-chaussée, à l’origine il y avait un
grand espace prévu pour les fiacres, dévolu ensuite aux commerces
ou ateliers, et bien sûr à la loge du concierge. Au premier étage il y
avait souvent un entresol avec des bureaux. A compter du deuxième
étage, les appartements d’habitation. Le deuxième et le troisième
étaient les étages nobles, plus facilement accessibles et disposant
des plus grandes hauteurs sous plafonds. A compter du quatrième
ou du cinquième, la hauteur sous plafond diminuait nettement. Et au
sixième et dernier étage, c’étaient les chambres de bonnes ! Des gens
de conditions différentes habitaient donc dans le même immeuble.
Et avaient besoin les uns des autres. Une insertion sociale à doses
homéopathiques. C’est une grande qualité sociale.
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Anthony Bechu
beauté de leur ascenseur, ont décidé de conserver la cabine en l’état, ainsi que toutes les ferronneries, pour ne remplacer que le pylône et le
mécanisme. C’est ainsi que le respectable vieillard, après rénovation, n’a rien perdu de sa superbe : la nouvelle gaine vitrée, qui repose sur quatre
poteaux en acier, ne fait que mettre sa beauté en valeur.
DES VITRAGES BOMBÉS
Les artisans de Drieux-Combaluzier ont dû redoubler d’ingéniosité pour préserver au maximum l’ancienne apparence de l’ascenseur. Les câbles,
gaines électriques et autres accessoires de fonctionnement devaient se faire les plus discrets possibles : ils ont été cachés derrière des plaques
de tôle soigneusement peintes en noir. “ Tout a été camouflé, témoigne Jean-Marc Delattre, le contremaître chargé du chantier. Le matériel
de l’ascenseur devait se fondre complètement dans le pylône. Les goulottes accueillant les canalisations électriques ont dû être déplacées
deux fois pour que cela convienne au maître d’œuvre ! ” Même l’éclairage de la gaine a fait l’objet d’un soin tout particulier, car il ne devait pas
être direct. Un serrurier-vitrier s’est chargé de la réalisation des parois vitrées de la gaine, en verre bombé dans les angles. “ Certains vitrages
mesurent plus de 4m², ce qui est énorme, ajoute Jean-Marc Delattre. Le verre cintré enveloppe les poteaux du pylône afin de les rendre moins
visibles. ” Les portes palières en ferronnerie ont aussi été vitrées. Quant aux encadrements en acier des vitrages, ils ont été façonnés sur place.
DES SERRURES INVISIBLES
L’ascenseur rénové présente néanmoins tous les avantages d’un appareil moderne, adapté aux exigences de confort et de sécurité d’aujourd’hui.
Les portes battantes de la cabine, en bois, ont été automatisées. Les boutons d’appel ont été remplacés par une signalisation plus moderne.
Les poignées des portes palières en bec-de-cane ont été restaurées et transformées en simples poignées de tirage. Les nouvelles serrures à
verrouillage électrique, intégrées dans la ferronnerie et peintes en noir, “ sont absolument invisibles ”, précise Jean-Marc Delattre. Les grooms,
qui permettent une fermeture directe, sans effort, ont été camouflés dans des coffrages hauts en tôle peinte. Au total, pas moins de quatre
mois ont été nécessaires à la mise en œuvre des travaux, hors études préliminaires. Ce qui est bien peu en regard du siècle et demi qui nous
contemple, du haut de cet immeuble !
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Rénovation Avenue de New-york
chers... et les chambres de bonnes continuent à être les logements
les moins coûteux de l’immeuble, louées à des étudiants par exemple.
En quoi l’immeuble haussmanien peut-il inspirer les concepteurs
contemporains ?
Si un maire décide de rénover ou de créer un quartier haussmanien, la
cohérence du style est importante. On peut s’inspirer de l’architecture
de l’époque, mais il est plus ardu de rester fidèle à l’esprit de l’époque :
aujourd’hui, quand on construit un immeuble, il est presque utopique
de vouloir faire entrer différentes catégories sociales dedans ! Même
quand les municipalités le souhaitent, les maîtres d’ouvrage sont
réticents, ça leur fait prendre trop de risques. Pourtant, on n’arrivera
pas à sortir des ghettos en ne faisant pas des immeubles dans
lesquels les enfants de différentes conditions se mélangent !
“ Le génie d’Haussman, c’est d’avoir
imaginé un immeuble réunissant
toute la pyramide sociale […].”
PATRIMOINE
Anthony Bechu :
“ L’immeuble haussmanien ?
Avec ascenseur... social ! ”
L’arrivée de l’ascenseur a changé la donne ?
Il a changé beaucoup de choses, mais la spécificité de l’haussmanien reste
la mixité sociale, c’est sa fonctionnalité... et même l’ascenseur n’a
pas réussi à changer ça ! Au début, il y avait un grand escalier
éclairé plus un escalier de service pour les domestiques qui reliait les
chambres de bonnes aux cuisines des étages nobles. Les escaliers
de service ont parfois été supprimés, et les grandes cages d’escalier
réduites, quand l’ascenseur est arrivé. Il a fallu l’installer enmilieu d’escalier.
Avant son arrivée, plus on montait... plus la classe sociale descendait !
Et tous les gens qui habitaient en haut servaient ceux qui habitaient en
dessous. Après, dans l’haussmanien tardif, cela a un peu changé : les
appartements du haut, desservis par l’ascenseur, sont mieux valorisés.
Mais aujourd’hui, l’ordre social n’est-il pas inversé, avec les
plus riches en haut ?
Pas forcément. Même s’il est vrai que les derniers étages sont souvent
prisés, et les chambres de bonnes réunies pour faire de plus grands
appartements, certains immeubles haussmaniens d’aujourd’hui n’ont
toujours pas d’ascenseur ! Donc les derniers étages restent les moins
UN CABINET D’ENVERGURE INTERNATIONALE
Né le 31 octobre 1950, fils et petit-fils d’architecte, Anthony
Bechuestlui-mêmearchitecteDPLGdepuis1976.Lecabinetquiporteson
nom compte des réalisations très variées, et souvent très audacieuses :
du stade Arena de Nanterre (2010) au stade olympique de Thiqar, au
milieu du désert irakien (2013), de la splendide et verdoyante Université
des Sciences à Hanoï (2005) à celle de Laâyoune au Maroc (2016), ou
la tour D2 de la Défense (2014)… Toutes témoignent d’une recherche
architecturale imprégnée des problématiques sociales, mais aussi du
respect de l’environnement et de l’histoire des sites d’implantation. En
cours,deuxambitieuxprojets:leRostovAviatorProjectenRussie,nouveau
morceau de ville de 370 hectares pour les habitants de Rostov sur le Don,
ville qui accueillera la Coupe du Monde de football en 2018, et le Climate
City Chambley prévu pour 2019 : il accueillera un centre de recherche
et d’innovation dédié au changement climatique en milieu urbain, où se
retrouveront des experts du monde entier.
www.anthonybechu.com